Qu"est-ce que c"est ?

Voilà un blog qui raconte (aussi) des histoires vraies, parfois vues ou vécues, parfois seulement entendues.
Si vous voulez me faire plaisir, racontez aussi les votres.
Envoyez-les à monsieurmatthieu@gmail.com
Mais oui.

vendredi 4 mai 2007

Ben c'est comme ça.

Attendre est l’une des choses les plus désagréables de la terre. Je me demande seulement pourquoi j’attends plus souvent que les autres. Je ne veux pas dire que les autres font exprès de me faire attendre, et qu’il y a une cabale contre moi. Mais comme je déteste attendre, les situations d’attente me sont plus pénibles, donc plus réelles qu’aux autres. Du coup, en rigueur, j’attends plus que les autres.
Pourquoi ? Parce que je suis moi.

NB : et vous ? Qu'est ce qui fait que vous êtes vous ?

dimanche 29 avril 2007

Andrew aussi a un secret

Il y a un harry’s Bar à Paris, et il se trouve rue Daunou, tout près de l’Opéra. Mais celui-là n’a rien à voir avec le Harry’s de Venise, qui est avant tout un restaurant et qui est plus luxueux. Celui de Paris est un pub sans originalité apparente, avec des boiseries partout où c’est possible, et des fanions ailleurs. Les cinquante Etats américains y sont épinglés, en triangle dans la poussière. Les serveurs parlent anglais la plupart du temps, bien qu’ils soient français. Ils vous tirent la table et vous proposent des bières « françaises mais légères ». L’un d’eux parle avec un accent tellement parfait qu’on le comprend moins bien que les quatre grosses américaines à qui il raconte des choses aimables et sans importance. L’histoire de ce bar est assez connue dans le monde. Son fondateur, Harry, est arrivé de New York au début du siècle. Hemigway venait y écrire. On y a inventé le bloody Mary. Les verres y sont assez chers, et il figure sur les guides touristiques anglo-saxons.

On y trouve de nombreux habitués. Voyez Andrew par exemple. Ce client régulier vit avec les fantômes de l’endroit et d’autres lieux dans le même style comme la librairie Shakespeare et Compagnie. Il pense au passé avec tendresse, n’en conçoit que difficilement la médiocrité, tandis que celle de 2007 lui apparaît très nettement. A vrai dire, il la voit partout. Né trop tard, ça lui fait tout de même quarante ans en 2006. Quarante ans en 1940, voilà ce qu’il aurait préféré. Vingt ans à Paris dans les années vingt, avec Colette, au Bœuf sur le toit, et Cocteau, et tous les autres.
Il lit, fume et boit des cocktails, le troisième depuis une heure. Où alors c’est un martini, puisqu’il y a un citron au fond du verre à pied en triangle. Il a des mains immenses, très longues et fines, avec des veines bleus sang. Il porte des chaussures marron à bout carré, et des chaussettes rayées bleu, grises et noires. Egalement un collier de barbe. Comme il fume quarante Dunhill menthol par jour, on peut presque considérer qu’il s’habille aussi en Dunhill, que ces cigarettes sont un accessoire devenu presque vestimentaire. Sans doute aussi il s’habille de la fumée qui l’enveloppe, et pénètre ses vêtements.
Andrew donc, en Dunhill de la tête aux pieds, a fait son entrée au Harry’s vers vingt heures. Bien qu’il ait emporté un livre en anglais (et pour cause, il est né à Londres de parents anglais), il n’est pas contre un peu de bavardage. Si je n’étais pas arrivé, il aurait abordé les américaines.

Mais là, je m’assois en face de lui, avec mon ibook ouvert. J’explique mon projet des dimanche. Qu’a-t-il fait d’ailleurs de son dimanche après midi ? Il a lu, et s’est habillé vers dix-huit ou dix-neuf heures. Je l’imagine donc en pyjama dans son petit appartement du 8ème arrondissement, loué depuis quelques semaines, depuis qu’il a quitté l’Angleterre et son emploi dans un magazine sur les maisons de charmes, non pas des bordels mais bien l’équivalent de nos Côté Ouest, Côté Sud, et les autres coins de la France. Lui s’occupait plutôt des vieilles demeures, il a même écrit quelques guides à leur sujet. Mais à un moment, il en a eu marre. Du moins, c’est ce qu’on imagine, car Andrew n’est pas vraiment du genre à se confier, il ne fait pas non plus plaisir gratuitement à un inconnu. Quelques indices pourtant permettent de retracer une biographie intuitive.
Andrew a vécu en famille une enfance un peu contemplative, un peu timide, suivant plus que ne menant, à la remorque des divers déménagements de son père diplomate. Israël, le Brésil, d’autres pays. La nuit de ses dix-huit ans, il a vécu au Bresil une rencontre tout à fait extraordinaire mais tout à fait effrayante dont il laisse à l’auditeur le soin d’imaginer la teneur. Ensuite, après une série de déceptions, sans doute amoureuses, mais peut-être aussi professionnelles, Andrew a trouvé sa planche de salut dans ce qu’il a toujours admiré, l’élégance, la répartie, la culture, la porcelaine.
Prenez l’élégance. Au Harry’s, elle lui coûte cher, d’autant qu’il m’invite à alourdir d’un verre supplémentaire sa longue adition. En plus, Andrew ne travaille pas à Paris comme il se l’était promis, ou plutôt comme il se l’était imaginé. Il ne fait pas d’article pour la presse anglo-saxonne. Il n’écrit pas de guide touristique d’un Paris élégant et cultivé. Surtout, il ne rédige pas assez vite le roman qu’il a en tête et qui raconte Paris vu par les yeux d’un chien.

Mais reprenez l’élégance. Ici, au Harry’s, les serveurs sont tout à fait comme il faut, c’est-à-dire qu’ils sont capables de soutenir une conversation convenable si le client le souhaite. Dans le même temps, ils ne sont pas trop proche de lui. Au Ritz, une fois, il a vu ce que ça donnait, la trop grande proximité entre les serveurs et les clients, quand un de ses amis avait invité un maître d’hôtel à se joindre à eux. Un équilibre tout à coup s’était rompu, mettant imperceptiblement chacun mal à l’aise. Un ordre cosmique avait vacillé, un agencement physique et mental, des repères dorés, nacrés, de beaux repères transcendants s’était décalés d’un centimètre à peine, et ce n’était bien pour personne. Ici, non. Tout est bien. Aristocratiquement discret. En place. On peut rencontrer facilement tout un tas de gens, moins le dimanche que le samedi bien sûr. Andrew a déjà bavardé ici des heures entières avec des inconnus. En général, ils se quittent sans se revoir, sans se donner de numéro l’un à l’autre.
Ce n’est pas notre cas. Andrew note ses coordonnées sur un papier de chocolat, et je lui laisse une carte de visite. Il est vingt-deux heures. Nous nous approchons du bar pour régler puis il m’invite à le suivre dans un autre endroit, en fait, le bar adjacent.

Le Sherwood a ouvert comme tous les dimanches à 17 heures et accompagnera ses clients jusqu’à quatre heures du matin. Un piano à queue est placé derrière la vitre, à droite de la porte d’entrée. Lumière très feutrée, orangée. Dans une grande alcôve au fond, les murs sont recouverts d’une tapisserie à grosse bandes jaunes et grises. Le patron est au comptoir, de dos, et nous prenons place côte à côte sur les banquettes le long du mur, pour voir l’homme qui fait des claquettes et qui est un ami d’Andrew. Enfin un ami. Ils se sont parlés ici, le dimanche précédant justement. En costume gris clair avec un chapeau, il se trouve qu’il chante aussi, mais moins bien que la femme entre vingt-cinq et trente ans, debout derrière le piano, bougeant new-yorkaisement avec un sourire confiant, d’autant plus si on le compare avec celui du danseur.
- Au début, il a cru qu’il deviendrait célèbre, me dit Andrew. Il tourne dans plusieurs bars.
- Quel âge a-t-il ?
- Mon âge.
- Vous rencontrez souvent des gens dans les cafés ? Hier soir par exemple. Vous m’avez dit que vous étiez rentré tard, mais qu’avez-vous fait ?
- Je ne me souviens plus.
- Vous ne vous souvenez plus ?
- J’avais trop bu.
- Vous avez rencontré des gens ?
- Je suis allé dans plusieurs endroits. Oui, j’ai du rencontrer des gens.
Je l’imagine tout à coup dans une cave de la rue de Rivoli, un club en pierre apparente où il ferait très chaud, avec des bougeoirs accrochés au mur et des chaises peintes en rouge, avec des miroirs, de la musique forte, je vois Andrew au bar qui regarde la piste minuscule et bouillante, avec des tas d’hommes sans T-shirt, mais peut-être que je me trompe.

Baissé de rideau sur la vie d’Andrew. Il est lui même un peu théâtral et souhaite l’être jusqu’à la fin, quand il mourra et que sa famille l’inhumera ici, à Paris, il connaît déjà le prix des concessions. Ou s’il n’est pas enterré, il voudra qu’un neveu ou qu’une nièce répande ses cendres au jardin des Tuileries, tout cela est noté dans son testament, précisé jusqu’à la destination de sa maigre fortune qui servira à rénover de la ferme de Marie-Antoinette. Andrew, je vous prie de le croire, est ici très sérieux. A la fin de la soirée, il a perdu de son aristocratie ce qu’il a gagné en sincérité. Il me demande une dernière chose avant de partir et qui est plus sérieuse encore : « Dites moi vraiment : la soirée vous a plue ? ».

Françoise Capote

Truman Capote et ma grand mère sont nés exactement la même année, l’une en Charente, l’autre à Moneroesville, près de la Nouvelle Orléans. Je pense pouvoir dire qu’ils ont eu tous les deux des vies très différentes, avec quelques points communs. Par exemple, ma grand mère fume, comme Truman, et elle boit un peu de Martini, mais dans des quantités moindres.

Cette coïncidence dans l’année de naissance m’a un peu troublée quand je m’en suis aperçu, car pour moi, ces deux personnes n’ont pas connu le même monde. Ma grand-mère fait partie du notre, celui de 2007, quand T.C. me semble appartenir à une histoire lointaine. D’ailleurs, je me demande comment deux personnes peuvent être nées la même année, et avoir fait des choses tellement différentes de leurs vies respectives. Bien sûr, il n’y a pas de raison de se ressembler à cause d’une date de naissance, mais tout de même, on associe les générations, les époques, et tous les deux ont fêté la même année leurs cinq ans, tous deux ont connu au même âge la même actualité, ce sont deux trajectoires lointaines et parallèles dans le siècle.

Evidemment, on se demande toujours si tout était tracé au départ ou non. Est-ce que, par exemple, l’âme de Truman Capote aurait pu être incarnée dans ma grand-mère ? Est-ce vraiment impossible à concevoir ? Et si ça avait été le cas, est-ce que Truman Capote aurait vécu une vie plus proche de celle de ma grand-mère ou serait-il resté lui même ? Est-ce que ma grand-mère serait sortie avec Jack Dumphy ?

Et puis ma grand mère a un accent anglais minable. Je pense qu’elle ne s’en serait jamais sortie à Moneroesville, tout le monde se serait moquée d’elle, enfin de lui. Truman Capote est plus crédible dans le rôle de ma grand-mère enfant, mais en revanche, je le vois mal élever ma mère. Je me demande bien ce que serait devenue ma mère si elle avait été éduquée par T.C. Et moi par ricochet. Avec mon grand-père, ils auraient parlé littérature, mais je ne pense pas que mon grand-père aurait bien supporté les infidélités de Truman Capote avec d’autres hommes.

A ce propos, il y a fort à parier que Truman Capote aurait vu au moins un avantage à être ma grand-mère, c’est qu’il aurait pu mettre dans son lit tout un tas de garçons sans que ça paraisse trop anormal. Evidemment, la Charente n’est pas le lieu le plus propice pour des extravagance pareilles, et même quand on respecte l’ordre protocolaire qui veut qu’un homme aime une femme et une femme un homme, on n’est pas autorisé à faire tout ce qu’on veut dans ce beau département, surtout à l’époque, disons dans les années quarante, 16 ans après la naissance de Truman et de ma grand-mère.

Alors les gens disent oui, le destin ça n’existe pas, c’est juste la somme des expériences qui fait qu’on devient ce qu’on est. C’est comme les dons, disent-ils, qui seraient une forme d’intelligence déguisée. Je trouve ça un peu facile comme analyse. Parce qu’en admettant qu’il suffise de stimuler sa créativité pour être avoir un don, d’où vient qu’untel ait envie de la stimuler et untel autre non ? Pour cela, je veux croire que ma grand-mère aurait écrit un livre et qu’elle l’aurait appelé Petit Déjeuner à Châteauneuf-sur-Charente.

le bonheur, ce n'est pas la destination. C'est le voyage



New York est une ville qui sait compter. J'y loge dans un appartement de la 101ème rue Ouest, ce qui le place aux deux-tiers Nord de Central Park. Pour aller à Columbus Circle, on peut prendre le bus numéro 10 qui descend de Harlem ou le métro qui se cache sous Central Park Avenue. Deux rues après Columbus Circle, se trouve la 57è Ouest. Vers 200 et des poussières est situé un immeuble en brique avec de grandes fenêtres carrées où, au 21è étage, l'agent littéraire Andrew Wylie loue la suite 14, c'est-à-dire une surface de moquette épaisse avec des bureaux en bois également épais.

Il y a, à l'entrée, l'une des secrétaires les plus aimables au monde. Dans le genre, Wylie n'est pas mal non plus et il est clair qu'il sait mettre à l'aise. Enfin cela doit dépendre. Car dans le milieu littéraire il est simplement appelé le chacal, ce qui prouve que tout le monde ne l'aime pas, ou alors c'est un drôle de surnom. Car Andrew Wylie sait compter, et ne s'en cache pas. Il a, à son catalogue, des auteurs prestigieux, de Philippe Roth à Salman Rushdie, Orhan Pamuk ou Nicolas Sarkozy. Il a aussi de petits auteurs, des auteurs qui ne sont pas connus, qui vendent mal. Mais il aime leur travail, et c'est un investissement, petit auteur deviendra grand. Que pense-t-il de la France ? De très bonnes choses, évidemment, tant d'intelligence, tant de talent... Bien sûr, c'est un peu amusant de voir comme il est mal utilisé, comme on y préfère le bavardage à l'action...

Une rue plus haut, sur la 60ème rue, au 5ème étage de l'Alliance Française, Marie partage un bureau ludique avec une autre française. C'est une vidéaste qui assure la programmation du cinéma de l'Alliance. Elle a quitté la France il y a treize ans, et a décidé de rester. Que pense-t-elle de la France ? De très bonnes choses, bien sûr. Plus de bourses pour les artistes, le régime des intermittents... Seulement, malgré cela, les français jouent les enfants gâtés. Etre artiste en France est plus facile et pourtant elle entend qu'on s'y plaint. Ici, dit-elle, on travaille tous dans des cafés ou des magasins, mais on a envie de faire des choses. Il y a cet influx, ce courant.

Ainsi, à New York, tout le monde semble compter. Les pourcentages des ventes comme les pourboires chez Starbucks. Ce n'est pas un monde idéal, mais c'est un monde qui espère. Car le bonheur ici n'est pas tant d'avoir que de chercher à obtenir. Le bonheur n'est pas tant d'assouvir un désir que de tendre vers son assouvissement. C'est une philosophie. Le challenge est ce qui rend heureux. On lit dans les journaux gratuits des articles sur l'amour. Pour qu'il dure, il lui faut régulièrement être remis en cause. On voit dans ces mêmes journaux des tests concernant le travail. Si vous cochez trois fois la case B, vous auriez intérêt à démissionner. Le bonheur, ici, est "d'aller vers" plus que d'atteindre, tout le contraire de chez nous où ce qui compte est de garder les positions que nous ou nos parents ont atteintes. Voilà, pense-t-on ici, le gros problème de la France : la tristesse dans l'opulence. L'envie non pas de devenir mais celle de rester ce qu'on est, ou plutôt ce qu'on a été. Marie n'échangerait pas ses heures de travail à New York contre une bourse en France, elle n'échangerait pas l'espoir contre l'inquiétude, la liberté contre la sécurité.

Quand à Andrew Wylie, il rigole encore qu'on puisse passer des heures autour de cette question : la France est elle une grande nation ?

vol stérile : Paris- Montréal sur un Toboggan


Un vol Paris - Montréal, ce n'est pas si long en fait, quand on discute avec l'hôtesse. Celle dont je parle, je l'ai rencontrée alors que je cherchais à m'asseoir sur la place réservée d'habitude au Toboggan à l'arrière de l'avion. Ca n'avait pas plu. Car il va sans dire que le Toboggan est dans un avion une chose considérable et il ne faudrait pas qu'il se déploie en vol sous le poids d'un journaliste français, fut-il de l'équipe de Jean Lebrun. Non, ce ne serait pas bien et on me le fit comprendre.

Le contact ainsi établi avec elle, je lui demandais sur un coup de tête, sans doute charmé par son assurance, son nouvel uniforme Lacroix, la manière qu'avaient ses mots de glisser entre les rangées comme sur une table de billard, le fait que je la soupçonne d'être chef de cabine, le nombre de kilomètres qu'elle avait parcourus dans les airs depuis le début de sa carrière, l'ennui aussi de rester assis à ma place, pour toutes ces raisons je me hasardais à lui poser une question : serait-il possible de rencontrer le commandant ? Mon hôtesse, aimable et sans chichi, naturellement encline à rendre service dans la mesure du possible et des prestations assurées par la compagnie, décrocha son interphone. Disons ici tout de suite que ce n'est pas tant le commandant que je souhaitais voir, mais plutôt le cockpit d'un 747 (ayant récemment accompagné un cheminot dans la cabine d'un TER entre Niort et La Rochelle, j'avais envie de comparer).

L'hôtesse chuchote ma demande dans le combiné, annonce que je suis français, me jette un coup d’œil, précise que je suis plutôt jeune, me lance un nouveau coup d’œil que j'ai trouvé professionnel c'est-à-dire pas trop gênant, répète que je suis français et que je suis jeune. A l'autre bout de l'interphone, le co-pilote a l'air favorable à ma demande et je crois réellement, à 14H30 au dessus de l'Atlantique, que je vais pouvoir serrer la main du commandant d'ici une dizaine de minutes et, surtout, compter les boutons du tableau de bord, vieux fantasme pas tout à fait assouvi malgré les efforts d'un cheminot de Poitou-Charentes.

Finalement, elle raccroche et me dit non. Sincèrement désolée mais n'en faisant pas trop non plus, avec ce sens de la mesure qui fait qu'on se sent bien en compagnie d'une hôtesse. Tout de même, j'étais déçu. Alors je reste discuter. L'hôtesse m'explique que les consignes sont très strictes sur les vols vers l'Amérique du nord, elle-même ne peut pas accéder au cockpit aussi facilement qu'auparavant et les passagers sont en théorie interdits. C'est ce qu'on appelle un vol stérile. Si l'un d'entre eux remarquait une entrave à cette stérilité (moi entrant dans le cockpit par exemple), il serait en droit d'assigner Air France en justice. Aux Etats-Unis, des téléphones verts ont été installés dans les aéroports et permettent de dénoncer anonymement les contrevenants.

Cette atmosphère de délation s'accompagne, me dit l'hôtesse, d'une vigilance accrue des passagers, notamment les Américains. Il est fréquent que l'un d'eux lui signale que tel ou tel autre passager se déplace beaucoup ou a un comportement étrange. Etrange est ici entendu au sens de "pouvant rappeler l'attitude d'un kamikaze" avant de "kamikazer".

Le bon côté de cela, me dit-elle, c'est que depuis le 11 septembre, les américains sont "plus humains, plus solidaires, ouverts, ils ont compris qu'ils n'étaient pas invincibles". Elle sait que s'il y avait un problème dans son avion, ils réagiraient immédiatement. Chaque fois qu'elle en a eu besoin pour maîtriser un passager hargneux ou un autre voulant allumer une cigarette, il s'est toujours trouvé quelqu'un sur ces vols transatlantiques pour lui venir en aide immédiatement. Chacun a en mémoire les héros du 11 septembre, et notamment ceux du vol qui s'est écrasé en Pennsylvanie, détourné de son objectif par les passagers eux mêmes. Personne ne comprendrait qu'on imite pas leur exemple.