Qu"est-ce que c"est ?

Voilà un blog qui raconte (aussi) des histoires vraies, parfois vues ou vécues, parfois seulement entendues.
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Mais oui.

dimanche 29 avril 2007

Andrew aussi a un secret

Il y a un harry’s Bar à Paris, et il se trouve rue Daunou, tout près de l’Opéra. Mais celui-là n’a rien à voir avec le Harry’s de Venise, qui est avant tout un restaurant et qui est plus luxueux. Celui de Paris est un pub sans originalité apparente, avec des boiseries partout où c’est possible, et des fanions ailleurs. Les cinquante Etats américains y sont épinglés, en triangle dans la poussière. Les serveurs parlent anglais la plupart du temps, bien qu’ils soient français. Ils vous tirent la table et vous proposent des bières « françaises mais légères ». L’un d’eux parle avec un accent tellement parfait qu’on le comprend moins bien que les quatre grosses américaines à qui il raconte des choses aimables et sans importance. L’histoire de ce bar est assez connue dans le monde. Son fondateur, Harry, est arrivé de New York au début du siècle. Hemigway venait y écrire. On y a inventé le bloody Mary. Les verres y sont assez chers, et il figure sur les guides touristiques anglo-saxons.

On y trouve de nombreux habitués. Voyez Andrew par exemple. Ce client régulier vit avec les fantômes de l’endroit et d’autres lieux dans le même style comme la librairie Shakespeare et Compagnie. Il pense au passé avec tendresse, n’en conçoit que difficilement la médiocrité, tandis que celle de 2007 lui apparaît très nettement. A vrai dire, il la voit partout. Né trop tard, ça lui fait tout de même quarante ans en 2006. Quarante ans en 1940, voilà ce qu’il aurait préféré. Vingt ans à Paris dans les années vingt, avec Colette, au Bœuf sur le toit, et Cocteau, et tous les autres.
Il lit, fume et boit des cocktails, le troisième depuis une heure. Où alors c’est un martini, puisqu’il y a un citron au fond du verre à pied en triangle. Il a des mains immenses, très longues et fines, avec des veines bleus sang. Il porte des chaussures marron à bout carré, et des chaussettes rayées bleu, grises et noires. Egalement un collier de barbe. Comme il fume quarante Dunhill menthol par jour, on peut presque considérer qu’il s’habille aussi en Dunhill, que ces cigarettes sont un accessoire devenu presque vestimentaire. Sans doute aussi il s’habille de la fumée qui l’enveloppe, et pénètre ses vêtements.
Andrew donc, en Dunhill de la tête aux pieds, a fait son entrée au Harry’s vers vingt heures. Bien qu’il ait emporté un livre en anglais (et pour cause, il est né à Londres de parents anglais), il n’est pas contre un peu de bavardage. Si je n’étais pas arrivé, il aurait abordé les américaines.

Mais là, je m’assois en face de lui, avec mon ibook ouvert. J’explique mon projet des dimanche. Qu’a-t-il fait d’ailleurs de son dimanche après midi ? Il a lu, et s’est habillé vers dix-huit ou dix-neuf heures. Je l’imagine donc en pyjama dans son petit appartement du 8ème arrondissement, loué depuis quelques semaines, depuis qu’il a quitté l’Angleterre et son emploi dans un magazine sur les maisons de charmes, non pas des bordels mais bien l’équivalent de nos Côté Ouest, Côté Sud, et les autres coins de la France. Lui s’occupait plutôt des vieilles demeures, il a même écrit quelques guides à leur sujet. Mais à un moment, il en a eu marre. Du moins, c’est ce qu’on imagine, car Andrew n’est pas vraiment du genre à se confier, il ne fait pas non plus plaisir gratuitement à un inconnu. Quelques indices pourtant permettent de retracer une biographie intuitive.
Andrew a vécu en famille une enfance un peu contemplative, un peu timide, suivant plus que ne menant, à la remorque des divers déménagements de son père diplomate. Israël, le Brésil, d’autres pays. La nuit de ses dix-huit ans, il a vécu au Bresil une rencontre tout à fait extraordinaire mais tout à fait effrayante dont il laisse à l’auditeur le soin d’imaginer la teneur. Ensuite, après une série de déceptions, sans doute amoureuses, mais peut-être aussi professionnelles, Andrew a trouvé sa planche de salut dans ce qu’il a toujours admiré, l’élégance, la répartie, la culture, la porcelaine.
Prenez l’élégance. Au Harry’s, elle lui coûte cher, d’autant qu’il m’invite à alourdir d’un verre supplémentaire sa longue adition. En plus, Andrew ne travaille pas à Paris comme il se l’était promis, ou plutôt comme il se l’était imaginé. Il ne fait pas d’article pour la presse anglo-saxonne. Il n’écrit pas de guide touristique d’un Paris élégant et cultivé. Surtout, il ne rédige pas assez vite le roman qu’il a en tête et qui raconte Paris vu par les yeux d’un chien.

Mais reprenez l’élégance. Ici, au Harry’s, les serveurs sont tout à fait comme il faut, c’est-à-dire qu’ils sont capables de soutenir une conversation convenable si le client le souhaite. Dans le même temps, ils ne sont pas trop proche de lui. Au Ritz, une fois, il a vu ce que ça donnait, la trop grande proximité entre les serveurs et les clients, quand un de ses amis avait invité un maître d’hôtel à se joindre à eux. Un équilibre tout à coup s’était rompu, mettant imperceptiblement chacun mal à l’aise. Un ordre cosmique avait vacillé, un agencement physique et mental, des repères dorés, nacrés, de beaux repères transcendants s’était décalés d’un centimètre à peine, et ce n’était bien pour personne. Ici, non. Tout est bien. Aristocratiquement discret. En place. On peut rencontrer facilement tout un tas de gens, moins le dimanche que le samedi bien sûr. Andrew a déjà bavardé ici des heures entières avec des inconnus. En général, ils se quittent sans se revoir, sans se donner de numéro l’un à l’autre.
Ce n’est pas notre cas. Andrew note ses coordonnées sur un papier de chocolat, et je lui laisse une carte de visite. Il est vingt-deux heures. Nous nous approchons du bar pour régler puis il m’invite à le suivre dans un autre endroit, en fait, le bar adjacent.

Le Sherwood a ouvert comme tous les dimanches à 17 heures et accompagnera ses clients jusqu’à quatre heures du matin. Un piano à queue est placé derrière la vitre, à droite de la porte d’entrée. Lumière très feutrée, orangée. Dans une grande alcôve au fond, les murs sont recouverts d’une tapisserie à grosse bandes jaunes et grises. Le patron est au comptoir, de dos, et nous prenons place côte à côte sur les banquettes le long du mur, pour voir l’homme qui fait des claquettes et qui est un ami d’Andrew. Enfin un ami. Ils se sont parlés ici, le dimanche précédant justement. En costume gris clair avec un chapeau, il se trouve qu’il chante aussi, mais moins bien que la femme entre vingt-cinq et trente ans, debout derrière le piano, bougeant new-yorkaisement avec un sourire confiant, d’autant plus si on le compare avec celui du danseur.
- Au début, il a cru qu’il deviendrait célèbre, me dit Andrew. Il tourne dans plusieurs bars.
- Quel âge a-t-il ?
- Mon âge.
- Vous rencontrez souvent des gens dans les cafés ? Hier soir par exemple. Vous m’avez dit que vous étiez rentré tard, mais qu’avez-vous fait ?
- Je ne me souviens plus.
- Vous ne vous souvenez plus ?
- J’avais trop bu.
- Vous avez rencontré des gens ?
- Je suis allé dans plusieurs endroits. Oui, j’ai du rencontrer des gens.
Je l’imagine tout à coup dans une cave de la rue de Rivoli, un club en pierre apparente où il ferait très chaud, avec des bougeoirs accrochés au mur et des chaises peintes en rouge, avec des miroirs, de la musique forte, je vois Andrew au bar qui regarde la piste minuscule et bouillante, avec des tas d’hommes sans T-shirt, mais peut-être que je me trompe.

Baissé de rideau sur la vie d’Andrew. Il est lui même un peu théâtral et souhaite l’être jusqu’à la fin, quand il mourra et que sa famille l’inhumera ici, à Paris, il connaît déjà le prix des concessions. Ou s’il n’est pas enterré, il voudra qu’un neveu ou qu’une nièce répande ses cendres au jardin des Tuileries, tout cela est noté dans son testament, précisé jusqu’à la destination de sa maigre fortune qui servira à rénover de la ferme de Marie-Antoinette. Andrew, je vous prie de le croire, est ici très sérieux. A la fin de la soirée, il a perdu de son aristocratie ce qu’il a gagné en sincérité. Il me demande une dernière chose avant de partir et qui est plus sérieuse encore : « Dites moi vraiment : la soirée vous a plue ? ».

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Sortir du Sherwood, rentrer chez moi. C’est direct mais l’alcool me descend dans les jambes. J’ai le pas méandreux. Je me fais la conversation. Je m’écoute un peu. Pas étonnant que je rentre seul. De toute façon, Elle ne serait pas montée dans mon pigeonnier. Une chanteuse, ça ne se répand pas en air dans les cages d’escalier. Soixante dix marches sans la garantie du paradis : Elle aurait perdu inutilement son souffle.

Quatre étages pour tourner l’hypothèse en rond, le cinquième pour achever de me persuader, le sixième pour me rappeler que j’ai encore des poumons.

Chez moi, la fumée des Gitanes fait un nuage. Dedans, c’est plein de postillons en suspension. De la mezzanine, fenêtre ouverte, on dirait Mexico avant la pluie. J’habite dans un paquet de cigarettes. Il y a toujours un cendrier à portée de main. Mon appartement n’est pas petit, il y a juste beaucoup de cendriers. Je les achète moi-même depuis que mes amis ne veulent plus m’offrir de « cercueils ». Peu importe leur matière, leur forme. Tout cela n’est que littérature. Je ne les choisis pas. Ils sont là pour faire office, un office un peu particulier. Car, il faut le confesser, je prends du plaisir à tuer d’une pression du doigt la dernière incandescence d’un mégot. Je suis devenu un obsessionnel du cendrier pour consommer, en série, ce rituel sadique.

Ceux qui pensent, dehors, que j’aime fumer se trompent. Je me parfume à la Dunhill pour faire diversion. Pas seulement pour masquer la Gitane. Mais parce que l’odeur du menthol est une promesse de fausse piste. Un exemple ? Elle vous guide vers la chaussette, vous balade entre les rayures psychédéliques alors que je planque la vérité sous mes pieds. Mes chaussettes sont trouées. Celle de droite et celle de gauche. Voilà une révélation qui en dit long. Sans chausse-trappe. A vrai dire, la Dunhill est une précaution inutile. Pour endormir le curieux, la parole est plus efficace que toutes les fragrances opiacées. Charmeur et serpent, je suis un mythomane qui reprise sa vie. L’Angleterre, le Brésil? Fadaises ! Un chien romancier ? Concédez-moi un peu d’imagination !

À tous les biographes des apparences : soyez-là ce dimanche. Cherchez le cendrier sur le piano. Près de la Brune. Alors vous trouverez le trou dans la chaussette…

matthieu a dit…

Merci beaucoup pour ce post ! A bientôt sur nos lignes de texte. MonsieurMatthieu

Anonyme a dit…

Le dimanche 27 mai, je suis resté coincé dans mon immeuble. Le Harry’s, conséquence fâcheuse, a frôlé le dépôt de bilan. Pire, j’ai raté la chanteuse du Sherwood à qui je devais promettre, c’était bien décidé, l’ivresse des altitudes. J’avais tout prévu, retourné dans tous les sens ce que serait la soirée. J’avais les réponses aux pudeurs, vraies ou fausses, qui pouvaient l’empêcher de monter.La garçonnière était propre, le millésime poussiéreux donc convaincant. Le portefeuille déjà en poche, je n’avais plus qu’à lacer mes chaussures. J’allais rattraper, enfin, le destin prédit par mon horoscope. J’avais tout prévu. Sauf l’irruption de l’Emmerdeuse.

Bien qu’elle soit payée pendant ses études, ma voisine du troisième est toujours en manque : un tire-bouchon, de l’aspirine, un truc, un brin de conversation. En me rendant mes serpillières imprégnées pour parquet classique, elle s’est avachie sur un fauteuil. C’est une erreur de mettre un fauteuil dans une entrée. Début de la logorrhée. Je ne devinerais jamais : elle vient de croiser le Président de la République « himself » dans le bois de Boulogne. Tirade sur la peopolisation des hommes politiques. Elle conclut (provisoirement) sur « le syndrome Nicolas Fouquet’s ». Comme toujours quand elle est drôle, elle salue sa formule d’un hennissement satisfait. Bien luné, j’aurais esquissé plus qu’un sourire poli. Elle redémarre avec les présidents des Étas-Unis. Je retiens au vol Hoover,Truman, Johnson. Je range les serpillières imprégnées pour parquet classique en jouant à saute-mouton avec les associations d’idées. Je lui demande ce qu’elle pense de Lipovesky. À peine interloquée, elle enchaîne, comme au grand oral, sur le thème imposé. Lipovesky ou le vertige du vide, des livres qui tombent des mains. Hennissement. Elle poursuit sur Clinton et Monika. Pendant qu’elle a la main, je finis de lacer mes chaussures. Je repère sur sa jambe une aspérité indécise, mi verrue mi grain de beauté, ponctuée d’un poil courbé, légèrement, comme un cou de cygne décapité. Tout autour, la cuisse, dirait l’ancien concierge, a de la conversation. À tel point que sur l’autre ligne, j’ai perdu le fil. Du coup, je ne comprends pas quand elle me relève, m’entraîne sur le palier et claque ma porte. Direction le quatrième chez « Liliput ». Hennissement. Voilà où je ne voulais pas aller.