Qu"est-ce que c"est ?

Voilà un blog qui raconte (aussi) des histoires vraies, parfois vues ou vécues, parfois seulement entendues.
Si vous voulez me faire plaisir, racontez aussi les votres.
Envoyez-les à monsieurmatthieu@gmail.com
Mais oui.

jeudi 10 mai 2007

"J'ai envie de faire, mais j'y arrive pas"

On l’a tous dit quand on était petit. Pourrait suivre ici une ou deux anecdotes personnelles dont ma mère se souvient peut-être, mais il y a des mots que je n’aime pas voir écrits en toutes lettres.

Et puis ce n’est pas ce que je veux dire. Moi, je parle de faire dans le sens de créer, d’inventer, de concrétiser ce à quoi on pense. Fais ce que t’as envie de faire. Vas-y mon gars. Just do it. Comment gérer ce fossé entre ce qu’on pourrait faire, et ce qu’on fait réellement ?

Certaines personnes se réfugient dans l’utopie. S’il n’arrivent pas à faire, c’est que leur projet est trop beau et la société les entravent dans leur démarche. Ce sont des incompris, on leur tue le talent dans l’œuf. Ils trouvent là une position confortable un moment, mais finissent par se rendre compte que leur raisonnement ne tient pas. C’est en général vers 40 ans, et c’est en général un peu tard.

Mon problème est différent. Il part du principe que si j’ai beaucoup d’idées en tête et que je n’en réalise qu’un certain pourcentage, c’est que je suis flemmard. Ca me fait un peu réflechir. Mais quand je regarde autour de moi, que je compare mon emploi du temps avec celui des autres, j'en fais tendanciellement plus. Sans doute, je ne pourrai jamais trancher la question de ma flemme.
Pourquoi ? Parce que je suis moi.

Et vous. Vous en faites assez à votre goût ?

dimanche 6 mai 2007

Après le travail : Enzo, Abdel, Pedro et Juan

Abdel porte un jean avec des fils épais cousus sur la jambe, pour faire comme s’il était élimé, mais personne n’y croit. Il a du gel dans ses cheveux bruns, bouclés coupés court, une chaîne à gros maillons et une très grosse montre. Il me dit son nom : « Ben Salem, vous connaissez ? C’est un nom oriental. Souvent les Ben quelque chose, c’est des noms orientaux ».
Il a fait son entrée à vingt et une heure avec son copain Enzo Di Natale, qui est aussi son collègue, sous la verrière du Grand Hôtel Intercontinental de Paris. Tous deux ont monté les marches, passé trois voituriers puis le premier hall d’entrée et le second, ont ensuite traversé l’immense salon au toit de verre, saluant un serveur ou deux, avant de s’asseoir dans un angle de la pièce, sous un orage d’applaudissements. Sur la mezzanine à un mètre du sol, trois cent cinquante personnes en tenue de soirée tapent dans leur mains tandis qu’Abdel et Enzo passent, imperturbables, les épaules légèrement rentrées, aucunement impressionnés par le riche décor du quatre étoiles et demi (juste en dessous du niveau Palace) que constitue le Grand Hôtel Intercontinental de Paris.

Abdel et Enzo traversent donc cette foule en noir, en blanc et en chapeaux pour s’asseoir dans de grands fauteuil verts un peu espagnols, droits comme des équerres, tandis que cessent les applaudissements qui ne leur étaient pas destinés. Derrière eux, sur la mezzanine, apparaissent Lionel et Gaëlle qui se marient aujourd’hui. Trois cent cinquante personnes, c’est un gros mariage, mais qui reste de bonne tenue. Car comme l’a dit un ancien chef du protocole à l’Elysée du temps de François Mitterrand, « au delà de quatre mille personnes, les buffets volent même en bonne compagnie ».
Rien de tout cela ce dimanche soir, jour qui convient à un mariage quand on suit la tradition Juive. On entend seulement bruisser la paix des étoffes sous la verrière du Grand hôtel, et on ne s’empiffre pas comme à la Garden-Party de l’Elysée. Sur la mezzanine, hormis quelques salves pour saluer les mariés, tout le monde est sincèrement ému, vu de loin en tous les cas, depuis la table d’Enzo et Abdel.

Tous deux ont à peine vu les mariés et bavardent sérieusement de la couleur du Chablis qu’on leur apporte, de son tanin et d’autres choses techniques qui mettent un nom sur des plaisirs. Et même s’ils parlent avec un fond de cet accent mal singé par les parisiens quand ils imitent les banlieusards, la haute société les laissent indifférent. Disons rapidement pourquoi tandis que l’élégante marée formée par les parents et amis des mariés reflue à présent vers le salon Berlioz, et n’en ressortira plus.
Chez les Ben Salem comme chez les Di Natale, on est sommelier itinérant. Prenez le père d’Enzo, il a quitté Naples avec son fils sous le bras pour travailler à New York, au Japon, à Las Vegas et ailleurs, toujours à conseiller des vins aux clients fortunés. Celui d’Abdel vendait des tissus à Doha, mais sa mère, française, tenait un restaurant de cuisine hexagonale qui s’appelait l’Izmir. « C’est pas plutôt turque Izmir ? » Abdel est un peu Turc aussi, mais ce serait trop long à expliquer. D’autant qu’ils ont rendez-vous à l’espace Pierre Cardin, en jeans et camionneurs au milieu de plein de costumes, pour une dégustation « sur invitation, entre professionnels. Vous savez, c’est à côté de l’Elysée. » Professionnels, car Abdel travaille au Ritz et Enzo au Crillon. Ce dimanche soir, ils font de l’espionnage industriel au Grand Hôtel, observent les serveurs, la salle, la mécanique de la concurrence, tout cela l’air nonchalant, appuyé sur leur accoudoir dans une position du corps et du visage qui m’évoque le Scarface de Brian de Palma, même si c’est un peu idiot.
- C’est votre chef qui vous envoie ?
- Pas du tout, on fait ça par passion.
- Ca vous coûte cher alors ?
- Un peu. C’est pas tous les jours.
- Et après vous faites quoi ?
- On rentre chez nous. Banlieue sud. Issy et Cachan. »

Abdel et Enzo retraversent la grande verrière et disparaissent dans le grand hall, distraitement suivis du regard par Carlo Perdomo, portoricain de 41 ans, qui regarde par habitude du côté où ça bouge. Il n’arrête pas sa pensée sur les deux jeunes banlieusards, son cerveau classe au titre d’événement sans conséquence le passage d’Enzo et Abdel dans la grande travée, ses yeux n’ont fait vers eux qu’un écart avant de se reposer sur le visage de Juan, 11 ans, son plus grand fils. Il est à genoux par terre, les coudes sur le grand canapé rouge où, entre hommes, les Perdomo sont venus boire un verre ce soir. Ils ont laissé femme, mère, fils, fille, frère et sœur dans l’une des luxueuses chambres de l’Intercontinental, et ils sont descendus là, profiter du repos entre deux défis. Juan, onze ans, est champion d’optimiste. Pedro, quarante et un an, est un champion dans les affaires.

Pedro se lève tous les matins à cinq heures, pour s’entraîner au tennis entre six heures et sept heures trente. Il emmène ensuite ses enfants à l’école et rentre chez lui le soir vers vingt et une heures mais Juan est déjà couché. Ce ce qu’il appelle la “saison des impôts”, quand son métier d'avocat fiscaliste lui rapporte le plus d'argent. Hors saison, il travaille moins et peut chercher Juan à la voile. Il s’entraîne neuf heures par semaine, en sortant de l’école américaine ou le niveau n’est pas mauvais. “Tu travailles bien, n’est-ce pas, Juan”. Avant que je n’arrive, tous les deux parlaient d’avenir et Juan demandait à son père quand il arrêterait de travailler. Car Pedro en a marre, il voudrait vivre en Europe et s’arrêter pour souffler. Il a assez été le meilleur, il a gagné suffisamment. “Encore deux ans, répond-t-il a son fils. Après, ce sera ton tour”.